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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 20:44

« Les français, on est à peu près bon dans beaucoup de choses, mais on a toujours quelque part un petit côté pas très cohérent. On est les premiers, au dix-huitième siècle, à avoir fait une révolution qui a marqué un point fort contre le système des royautés qui sévissaient partout en Europe depuis le moyen-âge, une révolution qui depuis sert de symbole – pas de modèle, les conditions historiques ne sont nulle part identiques – au combat de tous ceux qui ont une liberté à gagner. Restent associées à ce moment fort, la Déclaration des Droits de l’Homme, et quelques autres évidences qui n’avaient jamais été formulées. Mais après ces quelques moments d’ivresse, limite gueule de bois, on s’est dépêché d’aller se rechercher un roi, quelques décennies plus tard – non sans avoir eu un Empereur entretemps, pour la première fois de notre Histoire –, puis on a refait une république, et on s’est baladé ainsi, en boucle, pendant un siècle, jusqu’à ce que l’Histoire nous arrive sur la tronche par l’intermédiaire de nos voisins. Depuis 1870, on est resté en république – à défaut de démocratie – mais on sent bien qu’on n’est pas encore au point sur le sujet. Ça cafouille pas mal, on change la constitution, on tatônne, on hésite, on amende, on s’unit le temps d’une guerre, opposants main dans la main face à l’ennemi, on reprend notre valse hoquetante et désordonnée jusqu’à la guerre d’après, qui montre qu’on n’a rien retenu de notre parcours, on se déchire jusqu’au fond de notre corps social, on se resoude un peu à la va-vite, on repart en brinquebalant, cahin-caha, une roue de la charrette dans le fossé, les pieds dans les flaques, on paume des trucs au hasard des chaos, mais ils n’étaient pas vraiment à nous, et ils profiteront à quelqu’un d’autre. Ça s’appelle la décolonisation. Mais bon an mal an, on avance. On pourrait avoir confiance, se dire qu’on est dans la bonne direction. Et du coup, s’abandonner, se laisser porter par l’air du temps. Croire en nos dirigeants, auxquels, après tout, on délègue librement notre raison quotidienne.

Ce serait une erreur. Ce sont les mêmes qu’avant, aussi faillibles, aussi entourés de médiocres souriants et utiles… » 

 

 

 

 

« … On a une tendance à la Total Regulation, en France. Emportés par notre élan à vouloir le bonheur de tous – avec une telle certitude qu’on ne lui demande plus son avis sur rien, on sait tellement mieux que lui ce qu’il lui faut pour être heureux – on régule, réglemente, limite, borde, définit, arrête, édite, légifère, décide, impose, ordonne, cadre, encadre, enferme, frénétiquement, tout ce qui est considéré comme publique, dans des textes rappelant – car on fait dans le préventif explicite – de quoi il s’agit, l’usage qui doit en être fait, et, conclusion logique, les sanctions encourues en cas de non-respect des prescriptions énoncées. S’y ajoute souvent une note un peu ubuesque, on est très fort pour ça, c’est normal, chacun fait avec sa poésie locale, la nôtre penche de ce côté-là.

A l’entrée des squares, il y a un panneau sur lequel est affiché un règlement d’utilisation du square – il est fait pour se promener ou s’y arrêter, les chaises et les bancs à disposition sont faits pour s’asseoir mais il est interdit de s’y allonger, le tas de sable est pour les enfants, il ne faut pas cueillir les fleurs, monter dans les arbres ni jouer au ballon dans les massifs, que des trucs auxquels on n’aurait pas pensé. Ce panneau est dans une boîte grillagée, afin d’en rendre la lecture plus difficile, et le square ferme à dix-neuf heures en été, dix-sept heures en hiver. Cette régulation par le texte a pour premier objectif de définir le cadre hors duquel la responsabilité de l’autorité locale – la municipalité, au premier rang de laquelle se trouve le maire – ne saurait être engagée, car la hantise des tribunaux est devenue le premier écueil qu’elle va rencontrer dans sa mission de gestion de la collectivité qu’elle coiffe. Dès que quelque chose de fâcheux se produit, le premier pas de celui qui le ressent comme une injustice consiste à trouver un responsable, de préférence solvable, vers qui se retourner pour tenter de trouver compensation au préjudice subi. Et même si les tribunaux restent de façon générale assez lucides quant à ces affaires, la législation est tellement étendue à tout, ne serait-ce que par défaut, que s’il n’y a pas véritablement de responsable au problème, ce sera l’autorité locale qui sera considérée comme telle. Le fond n’est pas mauvais en soi, il est normal que tout ce qui relève des activités humaines, dont la vie sociale fait partie, reste lié à ces mêmes humains – laissons les disjonctés aborder le problème en se tournant immédiatement vers ce qu’ils appellent Dieu. Mais cela se traduit par le fait que le maire du patelin est ultimement désigné responsable si un passant tombe en glissant sur une bordure de trottoir un peu usée. Du coup, tous ceux qui ont en charge une des composantes de la Sécurité permanente et totale que chacun attend d’eux, essaient de se blinder de partout pour ne pas être attaquables. Donc le règlement du square comporte un avertissement du genre «  Le non-respect des consignes ci-dessus dégage l’autorité communale de toute responsabilité en cas d’accident ». Il devient difficile de frétiller au quotidien. En Angleterre, les squares et jardins publics sont ouverts librement, sans clôture, jour et nuit. En France, je dois quitter le square à l’heure prévue, sous peine d’être verbalisé. Si ma chaise se casse quand je me lève pour partir, avant l’heure de fermeture, et que je déchire la manche de mon costume Christian Dior en tombant sur un morceau pointu, je peux attaquer la ville. Avec des témoins qui déclarent que je me suis assis et levé normalement, éventuellement une expertise montrant que la chaise a cédé sur un point faible, je peux raisonnablement espérer obtenir un dédommagement pour ma veste. S’il m’arrive la même chose mais que l’heure de fermeture est passée d’une minute, c’est la ville qui peut m’attaquer pour obtenir le remplacement de la chaise. Quant à mes témoins, ils n’ont pas intérêt à déclarer qu’ils l’ont été, car si le bris de la chaise fatiguée, s’étant produit après l’horaire de fermeture, me devient presque imputable, il n’en reste pas moins qu’ils n’auraient pas dû être là non plus, et ils sont susceptibles d’être poursuivis. Ce phénomène se répandait de plus en plus, quand je suis parti, et je ne vois rien qui pourrait inverser la tendance. 


 

 

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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 20:39

– Nous approchons d’un domaine philosophico-religieux, que mon bon état de santé psychologique me rend inapte à marcher dedans, même du pied gauche. L’immortalité en laquelle croient tant, espèrent tant, n’a que des avantages. Elle permet de surmonter la folie qui borde la pleine conscience de sa provisoirité unique. Elle met les mots « pour toujours » à la place des mots « plus jamais ». Elle s’applique à soi, et à tous les autres. Ceux qu’on aime – si on aime quelqu’un –, et de façon générale tous ceux qui servent de points de repère. Cool. Et on n’a plus à se soucier de devoir faire face à son néant, à son absence définitive à venir. L’immortalité ainsi imaginée permet d’accepter de mourir – fin que l’on transforme en étape, acceptée parce qu’incontournable – parce qu’elle permet de nier la mort, le permanent définitif auquel on ne sait pas se résoudre. Mais tout ça, ces croyances, c’est de la connerie. On vit, on meurt, ça s’arrête là, il n’y a même pas de suite, genre « on est mort ». La seule immortalité à laquelle on puisse prétendre est de laisser quelques bons souvenirs dans la mémoire d’autres tout aussi provisoires que nous. La Terre disparaîtra un jour, tout aussi définitivement. Notre galaxie aussi. Problème à long terme, passé sous silence dans toutes les religions : faudra que les âmes des bienheureux déménagent leur paradis ailleurs… Vous croyez à l’immortalité ? Que notre âme continue, sans notre corps, son petit bonhomme de chemin vers la félicité éternelle, auprès d’une divinité resplendissante, qui, entourée de petits angelots au cul nu, juge chacun sur ses actes passés ?

– Non. Tout cela est de la croyance religieuse. Chacun projette sa mystique dans ce qui lui convient le mieux, ça ne repose sur rien d’autre que ce qu’on met dedans. La mort est un état définitif qui aujourd’hui ne me concerne pas. Penser à la mort, en dehors des moments où l’on y est confronté, c’est se mettre inutilement dans un état insupportable. La vie est un état passager de la matière en certains assemblages spécifiques complexes, le fait que nous ayons conscience de cet état de nous-mêmes, depuis l’intérieur, ne change rien au fait qu’un animal, qui n’a pas ce recul, est aussi vivant que nous... Quand je dis que ma mère n’est pas morte, je veux dire que le corps que je lui connaissais n’est plus, mais elle n’a fait qu’y passer. Elle venait d’ailleurs avant. Et si elle ne vous a rien dit d’autre, pour moi, c’est qu’elle est partie ailleurs.

Tog se lève.

– Bon, ben… je vais prendre un petit whisky, parce que là, avec les neurones qui se changent en grumeaux, je sens venir l’accident vasculaire cérébral force 8 sur le clavier de Karl Richter. 

 

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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 20:28

– Vous fumez de la marijuana ?

– Oui, mais soyez gentille, ne le dites pas. Les gens assimilent ça à de la drogue, et ils pourraient croire que je serais prêt à tuer père et mère pour m’en procurer, car la drogue –  la vraie – contrairement à ce que je fume occasionnellement, est quelque chose dont on ne peut se passer. Hors, je m’en passe très bien. Ai-je l’air de quelqu’un, qui, bave aux lèvres, attend fébrilement de pouvoir s’administrer sa dose de poison qui le détruit à petit feu ? Ai-je l’air de quelqu’un qui accepterait de se soumettre à un tel esclavage ? Aurai-je fait tout ce que j’ai fait pour venir ici, si j’étais un légume en cours pour une aussi misérable déchéance ?… Non. Je suis quelqu’un de normal, et le législateur qui a rédigé une loi générale ne s’est assurément pas soucié du particulier. S’il voulait – et j’ose espérer que c’était son intention – éviter à certains de tomber dans une dépendance – qu’ils rencontreront de toutes façons un jour dans autre chose parce que ce n’est pas de l’outil de la dépendance dont dépend le besoin de dépendre –, il aurait pu se rendre compte qu’il allait faire chier en même temps tous ceux qui ne tombent pas dans la dépendance. Protéger de l’alcoolisme les faiblards qui ont tendance à trop picoler, oui, interdire à tous l’alcool en prétendant que ça va résoudre le problème des picoleurs abusifs et empêcher les autres de le devenir, c’est faire preuve d’une bêtise si vertigineuse que je suis encore aujourd’hui stupéfait qu’aucun des ânes bâtés qui votent de tels textes ne s’en soit rendu compte. Mais c’est devenu une habitude dans les sociétés humaines modernes. On est passé du curatif occasionnel à un préventif systématique. Lorsqu’il s’agit de vacciner contre la polio, c’est bien. Du coup, le législateur, ne se sentant plus pisser, décide d’organiser la vie de tout le monde, selon son modèle. Mais comme il n’est pas très évolué, il fabrique un système pas très évolué. Au lieu de cibler, de chercher le bon but, on lamine tout par le bas. Pas étonnant que tout ça ne se développe que vers une médiocrité généralisée. Si à terme, les sociétés n’étaient plus qu’exclusivement démocratiques, sans aucune forme de parasitisme issue de la dictature ou de l’aristocratie, avec un total engagement de tous les citoyens pour en assurer le fonctionnement, je ne crois pas que le législateur deviendrait moins con pour autant. Il n’y a plus d’issue politique au gouvernement des hommes. Ils ne font qu’être objet de leur évolution, et là, il faudrait qu’ils en soient le moteur.  

 


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19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 00:57

– Vous réfléchissez à tout ce que vous faites, quels qu’en soient l’intérêt ou le but, pour en tirer un maximum…

– J’optimise.

– … vous raisonnez tout au travers d’une machine impitoyable qui marche à l’humour, l’ironie, la dérision, que vous habillez parfois en sarcasmes si l’objet de votre analyse présente une résistance ou une difficulté particulière…

– Je relativise.

– …vous êtes calme, patient, frénétique, impatient, fondamentalement logique mais apte à l’absurde…

– Je m’adapte.

– …vous êtes intelligent et n’hésitez pas à vous vautrer dans la bêtise si elle vous amuse.

– Mozart se reconnaissait vulgaire.

– …vous n’avez pas de haine, de rancœur, de frustration interne reportée sur les autres…

– Je suis assez sain. Mais surtout, ils sont loin.

– Etre vous importe moins que faire…

– Je suis un créateur.

– Défaire vous sert à comprendre pour refaire…

– Quand je ne sais pas créer, je copie. Parfois, j’améliore…

– Finalement, tout ça pourrait être assez ordinaire…

– C’est ce que je me tue à vous dire.

– Mais vous n’êtes pas ordinaire…

– Permettez–moi de prendre cette remarque comme un compliment.

 

 

 

 

 

– La vie est assez complexe comme ça sans s’encombrer en plus de fadaises infantiles. Qu’on prenne pour réalité, avec une naïveté pathologique, les histoires, contes, mythes, bien entendu sacrés – donc intouchables – dont chaque peuple, chaque culture, habille ses origines, ou qu’on se contente plus simplement d’en tirer des analogies avec le réel, passé et présent, pour en préjuger le futur, le but est le même : crédibiliser suffisamment ce fond, sans tenter de séparer l’historique de l’imaginé, afin qu’il soit reconnu référentiel commun, utilisable pour soi et imposable aux autres. Les zozos appuyant toute leur vie sur ce processus d’invention psychologique trouvent dans cette démarche l’indispensable justification extérieure montrant le bien-fondé de leur position. Ils utilisent tous avec le même aplomb, comme suprême raison justifiant leur façon d’être, l’argumentation divine. Puisque ça marche, ils n’ont aucune raison de changer quoi que ce soit, voire simplement d’émettre le plus petit doute. Au catalogue des gris-gris agités devant les foules psychologiquement esclavagisées, le coup de la faute originelle est une mise en condition bien placée, très utile si on veut faire passer des trucs aussi délirants que le rachat de son âme, la nécessité de la conversion ou du baptême, enfin tout ce qui peut faire adhérer le chaland à l’équipe locale. Bêtise originelle, oui, plus mensonges et menaces, tout cela pour aller faire la guerre – qu’on appelle croisade ici, djihad là-bas, réunification ou libération ailleurs – à d’autres crétins qui nagent aussi dans leur petit référentiel à deux balles, avec la même haine, la même nocivité – « Hors de mon église, de mon parti, de mon camp, point de salut ! ». Alors la faute originelle, le paradis perdu, l’âme éternelle, Dieu triant les bons, les mauvais, les médiocres, les nuls, les méchants, les gentils, les joints de culasse et les ratons-laveurs, je laisse ça aux simples d’esprit qui ne peuvent pas gérer autrement leur angoisse de mort… Pour tout dire, je ne sais pas pourquoi on est là, vivant sur cette Terre avec la conscience de soi. Certains disent qu’on est là par la grâce de Dieu, poussent parfois leur reptation intellectuelle en ajoutant que c’est à nous de trouver le chemin à suivre pour arriver jusqu’à lui. C’est très bof !… Rien d’autre qu’une espérance d’éternité, tellement ils sont incapables d’appréhender qu’ils ne seront plus vivants un jour. D’autres préfèrent la richesse, matérielle, celle de l’or, plus pour ce que cette richesse permet d’obtenir que pour les qualités intrinsèques de ce métal. Ou encore la puissance, par le charisme des armes s’il le faut. Ou être un artiste, si on est un artiste. Entre ceux qui disent qu’il faut être – autre chose de mieux, selon ces idéalistes  ceux qui disent qu’il faut avoir – les matérialistes, sordidement tristes – ceux qui disent qu’il faut faire – les moralistes, portes-drapeaux de l’utilitaire déculpabilisant – ceux qui disent qu’il faut obéir à des lois religieuses stupides en remerciant un dieu qui n’existe que dans leur esprit pauvrement humain, ceux qui pètent les plombs dans la folie, le meurtre le massacre et la guerre, pour unique éthique, ceux qui ne disent pas grand-chose mais sont tout aussi chiants que les autres, on a à peu près ramassé tout le monde. Dans les bons six milliards d’individus, nombrilistes comme c’est pas permis, persuadés pour la majorité qu’ils sont les fils ou les enfants de Dieu alors qu’ils n’intéressent absolument personne, même pas eux-mêmes. Vraiment insupportable, en bas… Moi, je ne sais pas. J’ai l’impression qu’on n’est pas là dans un but quelconque, on est là, simplement. Une étape dans le mouvement de la matière, en quelque sorte. L’homme disparaîtra un jour complètement, s’il n’est pas capable de se répandre ailleurs – faudra de la logistique humaine lourde pour espérer essaimer dans la durée – mais la matière continuera à vivre, sans plus de but qu’avant, sous d’autres formes, sans que celle sous laquelle nous sommes manque jamais à rien ni à personne.

– Le sexe vous intéresse plus que la religion.

– J’ai cette impression aussi. Mais même dans cette discipline, je reste un pratiquant occasionnel, vous savez… Il est tellement rare de rencontrer un prisme tournant sous le soleil que, même dans la concupiscence, la foi n’est pas un état permanent.

 

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18 novembre 2010 4 18 /11 /novembre /2010 23:11

   Un ange passe, pour la cinquantième fois.

– Et ce Tog, que savez-vous de lui ?

   Lewis n’a pas toutes les informations qu’il souhaiterait pour faire un portrait valable de l’individu. Il est Conseiller aux affaires spatiales, pas Chargé d’enquête dans une agence de renseignements. Il sait pertinemment que le Président a déjà eu droit à une présentation de l’individu par le Bureau Fédéral dont c’est le travail.

Il cherche quelque chose de synthétique, lui permettant de renvoyer le problème vers un autre joueur.

– Inclassable, si je puis m’exprimer ainsi.

– Comment se fait-il qu’on ait accepté d’aider ce type à partir dans l’espace ?

– Il  a payé pour ça, Monsieur le Président.

– Ah...

– Bien au-delà de ce que ça nous a coûté. Et nous avons profité de sa façon d’élaborer son projet, en assemblant des motivations spécifiques, des scaphandres russes, des concepts simples, une technologie exotique, une robotisation rationnelle, une gestion humaine équilibrée...

– Et nous, ne savons pas faire tout cela ?

– Nous le pourrions peut-être, mais ça n’est pas du tout notre objectif. Dans l’immédiat, nous tendons à une maîtrise technique de la spatialisation. Dans le long terme, nous œuvrons à un développement de notre monde dans l’univers. Nous travaillons à ce que nous appelons le progrès, et cet outil nous permettra un jour d’aller à notre gré dans l’espace, pour nous y étendre, d’une part – car nous sommes de féroces énergiphages depuis nos origines –, par la nature même de la dynamique vivante, d’autre part – proprieté de la matière dont nous sommes constitués – qui cherche à perdurer... Si, chemin faisant, nous rencontrons quelque autre être, bactérie improbable, petits hommes verts ou dieux, ça mettra peut-être fin à nombre de nos interrogations éternelles, mais posera certainement d’autres questions.

– La cerise sur le gâteau...

– Il est certain que tout cela ne saurait faire le quotidien d’un homme politique, quel qu’il soit. Aussi, dans la mesure où ce Tog ne mettait pas en danger la sécurité des Etats-Unis et de ses habitants, votre prédécesseur n’avait aucune raison de l’empêcher de partir. 

 

 

 

 

 

– Cet homme est chrétien ?

– Totalement agnostique, Monsieur le Président. Sa position vis-à-vis de la religion se résume en cette phrase, je le cite, « Dieu est une béquille pour une claudication dont je ne souffre pas ». Selon lui, la religion est un moyen de gérer son angoisse de mort par le biais de la croyance, profonde jusqu’au subconscient, en une éternité qu’elle permettrait d’obtenir, au paradis pour certains, sous forme d’animal réincarné, voire de simple rocher, pour d’autres. Dieu n’est plus que le principe maître autour duquel chacun construit sa métaphysique. Et ce Monsieur préfère rester avec ces questions que nous nous sommes tous au moins posées une fois à un moment donné, que leur substituer une réponse standard dont chacun partage une partie du sens avec les autres.

– La religion est aussi un processus fédérateur. C’est parce que quatre-vingt quinze pour cent de nos concitoyens en ont une que nous sommes là aujourd’hui. Elle est une des grandes valeurs sur lesquelles s’est appuyé le peuple américain pour se construire, se rassembler, s’unir, en une nation à laquelle je suis fier d’appartenir... Mais j’avoue aujourd’hui que je ne saurais dire si cette croyance nous apportera le salut que nous attendons tous. Je ne sais si je dois prier Dieu de nous épargner cette fin pire que l’enfer en aidant cet homme sans foi à nous sauver, ou si je dois l’implorer de nous pardonner pour n’avoir pas davantage cru en lui. Même si sa bonté est sans doute infinie, lui demander les deux me semble excessif, voire illusoire.

 

 

 

 

 

 

– Où est-elle née ?

Stamper se râcle la gorge. Il ne peut pas arguer le manque de temps, les hommes chargés de tracer la jeune femme ont largement eu celui qu’il fallait.

– Nous ne savons pas vraiment. Les vérifications que nous avons faites en ce sens n’ont pas abouti. La ville écrite sur le registre scolaire n’existe pas… Il est possible que la jeune femme ne la connaisse pas elle-même.

  Le Président soupire. Il a compris que ses limiers pataugent plus dans l’ignorance que dans la certitude et le véritable.

– Vous ne savez pas si elle a un permis de conduire, si elle va à la messe le dimanche, si elle est en relation avec un dealer local, si elle est fichée à la frontière mexicaine. Elle habitait sans doute au bord d’un lac enchanté mais aucun pêcheur ne l’a jamais vue, et la nuit elle plongeait au fond pour dormir... Si je résume, reprend-il, on sait que c’est une femme, américaine, qui n’a laissé aucune trace dans aucune communauté depuis vingt ans qu’elle vit parmi nous. On peut se dire qu’elle a, statistiquement, un niveau d’éducation lui permettant de savoir lire, écrire, et peut-être compter. Elle ne connaît strictement rien aux fusées, bombes atomiques, et espace en général, mais elle apprend vite et bien une quantité de choses élémentaires à la portée du premier venu, comme le fonctionnement d’un véhicule spatial russe réformé. Elle est psychologiquement équilibrée, et, jusqu’à preuve du contraire, n’a aucune raison de travailler pour quelqu’un de malintentionné à notre égard… Stamper, il y a des jours où je me demande si je ne ferais pas mieux de proposer au Congrés d’épargner à nos contribuables les milliards de dollars que nous budgétons tous les ans pour nos agences de renseignements. 

 

 

 

 

 

– Elle est en Corse...

  Le Président ne situe pas. Il a cinquante Etats dans la tête, son District, Mexique au sud et Canada au nord, sait où se trouvent la Russie, le Japon, la Chine et l’Inde, sait que Cuba n’est pas loin de la Floride, que l’Europe est un conglomérat géographique où habitent quelques emmerdeurs et ses alliés emmerdés, il saurait à peu près positionner l’Afrique et l’Australie sur une mappemonde, mais le reste n’entre dans sa cartographie que s’il y a quelque chose à y faire : pétrole, commerce, matières premières, guerre, alliance, démocratie à sauver ou à imposer, ou autres objets de préoccupations qui méritent son attention, et la Corse n’est pas au catalogue. 

– C’est où ?

– Une île qui appartient à la France.

– Atlantique, Pacifique ou Océan Indien ?

– Méditérrannée.

  Le Président situe Chypre, en face du Liban, au-dessus d’Israël. Il y a aussi la Crète, par là, mais la flotte américaine en Méditerrannée doit en faire le tour. Le reste est trop imprécis pour qu’il en tire quelque chose.

– Les français ont une île en Méditerrannée ?... Depuis quand ?

– Depuis qu’ils l’ont achetée aux italiens. C’était avant Napoléon.

– Et depuis ce temps-là, personne ne l’a rachetée ?... Il n’y a rien là-bas ?

 


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18 novembre 2010 4 18 /11 /novembre /2010 00:38

   Lentement, les hommes se mettent en chaîne, côte à côte, formant un long chapelet presque immobile. Chacun tenant ses voisins par la main, ils attendent, calmes et silencieux. Visibles au télescope depuis la Terre, ils doivent ressembler à une de ces guirlandes faites en découpant un personnage dans du papier plié en accordéon. Si l’humanité survit, il y aura certainement quelque concepteur de cadeaux-jouets-gadgets pour se faire fabriquer en Chine des guirlandes lumineuses les représentant ainsi, les héros qui auront donné leur vie pour cette étape majeure de l’opération de la dernière chance. Selon le modèle de guirlande, elle s’allumera, clignotera, changera d’intensité, on pourra découvrir sur l’épaule de chaque scaphandre un petit drapeau correspondant à la nationalité du cosmonaute, et pour le haut de gamme, peut-être quelques visages derrière les visières. Et, alors que personne n’est présent pour les photographier, les repérer, savoir où sont John Machin, Pablo Truc et Dimitri Mongenou, il y aura forcément quelques exégètes dépositaires de la vérité pour venir lors d’émissions souvenirs montrer à des téléspectateurs assoiffés de précision, la position de chacun dans la chaîne.

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16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 01:32

...il lui faut préparer un message pour Tog. Pas évident. Première chose : savoir s’il est vivant, et s’il sait où il se trouve. Le repérage dans l’espace est un peu plus compliqué que dans un hypermarché. C’est nettement moins bien indiqué. Il faut connaître sa vitesse, sa direction, son temps de trajet, la position des corps célestes, leur mouvement. Si un seul paramètre manque ou n’a pas la précision suffisante, en très peu de temps d’errance on ne sait plus vraiment où on est, ce qui interdit tout rendez-vous. Alors en beaucoup de temps, c’est carrément le naufrage. Tog savait tout ça, il savait calculer tout ça, il avait tout ce qu’il fallait pour calculer tout ça. Mais est-ce que ça l’intéressait vraiment ? Est-ce qu’il n’a pas, à un moment donné, cessé tout repérage, se laissant emporter par son élan initial dans une direction quelconque, choisissant de prendre « comme ça vient » sans plus jamais allumer ses moteurs ? Deuxième chose : à supposer qu’il soit vivant, qu’il sache où il est, que son engin soit toujours en état de fonctionnement, a-t-il encore assez de carburant pour procéder aux nécessaires manœuvres d’approche et d’accrochage ? En fonction de sa position, de sa vitesse, de sa direction, combien de temps lui faudrait-il pour revenir ? S’il ne peut pas revenir à temps, jusqu’où pourrait-il aller ? Et, par-dessus tout, A-T-IL ENVIE DE REVENIR ?

 

 

...croise les yeux de la jeune femme, y découvre une détresse au-delà de l’habituel, du prévisible. Et aussi quelque chose d’autre, comme une force résistant à toutes les tempêtes de la vie, une force arc-boutée contre la douleur, le mal, la mort. Il a le pressentiment, avec certitude, que cette femme peut apporter quelque chose de positif à... il ne sait pas bien quoi ni qui, mais il suit son feeling.

– Comment vous-appelez vous ? demande-t-il doucement.

Elle lève les yeux vers lui, murmure dans ses larmes.

– Lala.

 

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16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 00:17

...Tandis que la nouvelle se répandait aussi vite que le permettaient les serveurs de messagerie et les réseaux radio-télévisés, des voix s’élevaient déjà qui refusaient net de croire la vérité annoncée, puisqu’elle l’avait été par les américains, peuple satanique qui vivait dans le pêché et le mensonge. Ceux-là, incurablement enfoncés dans leur névrose, mirent des mois à changer leur discours. Quand, peu à peu, le monde entier finit par admettre l’inadmissible, qu’il ne leur fut plus possible de dénoncer le monde occidental mentant à tous, sans commencer à perdre leur auditoire, ils s’engagèrent dans un nouveau prêche, dont l’essentiel récurrent tenait en quelques affirmations délirantes qui suffirent à refédérer autour d’eux leurs hordes moutonnesques de déséquilibrés : le météore était un signe de Dieu annonçant l’heure du jugement dernier pour les infidèles – c’est ainsi qu’ils nommaient quiconque n’appartenait pas à leur troupeau d’allumés – jugement divin qu’il fallait attendre sereinement car eux ne risquaient rien, seuls les diaboliques iraient en enfer, les autres accédant comme il était écrit au paradis éternel. Certains, parmi ces cerveaux collés, affirmaient même que ceux qui « accompagneraient » cette décision divine en donnant leur vie pour éliminer des infidèles – de préférence américains – seraient accueillis au paradis par quelques dizaines de jeunes vierges à eux seuls destinées. Plus c’est con, plus ça marche, ils n’avaient pas besoin d’ajouter quoi que ce soit sur cette récompense, reconnaissance de leur foi, le déséquilibre sexuel qui gouvernait au quotidien toute la vie de ces sous-développés du bulbe les nourrissait de tels fantasmes qu’ils étaient de plus en plus nombreux à s’immoler en essayant de tuer le maximum de gens autour d’eux. Les polices occidentales et les autres eurent de plus en plus de difficultés à endiguer cette vague de folie. Dans les pays où les américains disposaient de militaires en action, les attentats de toute nature augmentèrent en fréquence – il fallait finir les stocks d’explosifs avant la fin du monde –, entraînant des ripostes musclées et les habituelles bavures vers les civils, dans les mêmes proportions. 

 

 

...Depuis que le projet Eternity était engagé, et qu’il se déroulait comme prévu, tout le monde finissait par y croire, si tant est que l’espoir est chevillé à la vie. Restaient des sceptiques, par millions, des incrédules, par millions aussi, des rebelles et des nihilistes, mais dans l’ensemble, un consensus optimiste menait la majorité. Les quelques allumés de la première heure, les paranoïaques suicidaires, les boulimiques d’apocalypse et autres fouteurs de merde, adeptes d’un terrorisme permanent, révélaient des rangs clairsemés. D’abord parce que leur discours faisaient de moins en moins recette face au discours collectif. La politique de nettoyage était engagée au niveau mondial, elle était uniforme, et coordonnée, ce qui ne leur laissait plus guère d’endroit où ancrer et répandre leur nuisance – même dans leur pays, ils étaient maintenant pourchassés, y compris par leurs anciens protecteurs –, ensuite parce qu’autant l’oisiveté de leurs ouailles facilitait leur prosélytisme quand le monde vivait au présent, la bouche pleine sans souci du lendemain, autant l’échéance proche de la fin du monde et la lutte collective engagée donnaient à leurs supporters une perception complètement différente du fondamental et du dérisoire, du vrai et du superficiel, de l’important et du mensonge. Et quand un chef choisi n’est plus crédible, si on n’y est pas obligé, par rien ni personne, pas même soi, pourquoi continuer à le suivre ?


 

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16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 00:10

...le satellite détourné n’avait pas été déplacé hors du plan de l’écliptique, il suivait une route destinée à l’accélérer pour croiser au plus près, afin de l’observer, la trajectoire de l’objet, actuellement masqué par Saturne. Vérité totale, qui ne contredisait aucune supposition, rationnelle ou exotique. Paradoxalement, plus la réalité se précisait, plus les passions s’affaiblissaient. Semblables à leurs ancêtres depuis la nuit des temps de leur origine, les hommes restent fascinés par l’inconnu, potentiellement dangereux, donc inquiétant. Les curieux s’appliquent à le découvrir et le comprendre. Luxe et distraction. Les autres s’y débattent avant tout par besoin de se trouver, car ils peuvent y projeter tout ce qu’ils sont, peur et désir, conscience de soi et absence de sens, métaphysique clownesque et délire quotidien. Incapables d’assimiler l’inutilité de leur présence, ils n’ont d’autre option dans leur ignorance que passer leur temps de vie à l’abri de leurs religions navrantes, artificielles et illusoires, mais tellement efficaces.

Tous ceux qui s’intéressaient au phénomène pour ce qu’il était attendaient d’être enfin informés. Tous ceux qui s’y intéressaient pour ce qu’il représentait n’attendaient rien d’apprendre ce qu’il était. Ça n’aurait fait qu’un élément de plus à intégrer dans leur monde et son histoire telle qu’ils voulaient la croire, et une vérité supplémentaire n’est qu’un parasite. La Science et la Tradition sont incompatibles.


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15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 23:31

...il n’était plus célébré que par les alcoolos, les marginaux, les illuminés. Beaucoup l’avaient oublié, et avec le temps, davantage n’avaient jamais entendu parler de lui. Quand son nom arrivait, impromptu, dans le conversationnel quotidien, il devenait synonyme d’excentricité aberrante, de comportement absurde, et la réalité de son existence s’effaçait peu à peu au profit d’une croyance de plus en plus mythique. Il devenait l’archétype du délire inutile, exhibant un irrationnel comme on en prête aux dieux dans les contes de tribus primitives, longues sagas de personnages intemporels dont les pérégrinations expliquent le présent mais ne justifient rien. Et sans justification, pas de point de repère. A acte inexplicable, comportement incompréhensible.

Quant à ceux qui n’avaient ni télé, ni radio, ni journaux, tous les naufragés du monde, ceux qui tâchaient tant bien que mal de survivre au quotidien en triant des déchets, quand il y en avait, espérant pouvoir se désaltérer dans quelque mare croupie, s’il en restait, avec pour seul but – habitude plus que volonté – de tenir encore un peu, peut-être jusqu’au lendemain, si leur restant de forces le leur permettait, ils n’avaient jamais entendu parler de lui. Pour eux, ces déclassés, ces oubliés, ces improbables, qui ont la vie-devant-soi, il n’existait même pas.

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  • : Le blog de vraiment-trop-cons.le-livre.over-blog.com
  • : Le nom de ce blog est celui d'un roman qui n'a pas encore trouvé d'éditeur. L'histoire de quelques échantillons d'hommes, pris depuis toujours dans leur spirale sans issue. Des extraits sont disponibles dans la catégorie "Le livre: EXTRAITS", avec un peu de cons déments autour, pour rehausser le goût.
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